Texte du sujet: Rencontres, sujet 1 : "Rencontre Avec Joe Black"

Que je te raconte ma rencontre avec elle ? Je vais plutôt commencer par mon premier souvenir d’elle…

Ça remonte à quand j’étais gamin. Comme tu le sais, à l’époque moi, mes parents, tes tantes et ton père, on vivait à la campagne. Alors toi, tu imagines sûrement que c’est pas comme à la ville, qu’on s’ennuie comme des rats crevés, qu’il ne s’y passe jamais rien mais figure-toi mon petit qu’à la campagne, comme à la ville, tant qu’il y a des Hommes, il y a des trucs qui s’y passent. Et à chaque début de printemps, on fêtait l’arrivée des beaux jours en organisant une grande fête à la salle polyvalente du village.


Nous, on avait de la chance parce qu’il y avait le terrain de foot derrière notre salle donc bien souvent, on installait des lanternes lumineuses et pleins de stands pour que tout le monde puisse apporter des plats faits maison, on mettait la musique partout sur le terrain et on dansait soit dedans, soit dehors. Oh j’étais petit mais je me rappelle que mon premier souvenir marquant, c’était quand j’avais 8 ans. J’étais amoureux de ma voisine Lila et je m’étais fait tout beau pour avoir moins peur de l’inviter à danser. Le soir venu, il faisait encore jour, on est arrivé alors qu’il n’y avait pas encore beaucoup de gens. Lila n’était pas encore là. Y’avait mes copains, qui savaient que j’étais amoureux de Lila, qui n’arrêtait pas de m’embêter en hurlant des bêtises pour m’embarrasser. Et ça marchait. Bonte divine, Lila n’était pas encore arrivée quand j’ai vu cette apparition, cette blonde magnifique arriver parmi nous. Elle était tellement belle. Personne ne semblait la voir, c’était comme une apparition. Lila, la pauvre, je n’ai même pas fait attention à elle de toute la soirée. J’étais beau comme un sou propre, j’étais prêt à déclarer ma flamme, je m’étais même entraîné à danser, seul, dans ma chambre et j’ai passé mon temps à admirer la jolie blonde. Tu sais, à cet âge, t’es pas amoureux comme plus tard, t’es amoureux avec de la tendresse, avec de l’admiration. Et je peux te dire qu’à côté de l’apparition solaire qui m’avait obsédé ce soir-là, la pauvre Lila n’avait aucune chance.
Bien sûr, le lundi suivant, à l’école, j’avais oublié la blonde et j’étais collé à Lila.

L’année s’est écoulée et je ne te cache pas que lorsque la fête du printemps est arrivée l’année suivante, j’ai espéré revoir la jolie blonde au bal du village. Et elle est venue. Toujours aussi belle, toujours rayonnante et toujours invisible pour les autres. C’était une fée, ma fée. Et si elle était imaginaire, c’était pas grave. C’était une merveille pour les yeux et pour mon cœur. Je me suis fait une raison, elle serait mon secret.

L’année suivante, il n’y a pas eu de fête du printemps. Tu sais que mes parents ont divorcé quand j’étais plus jeune ? Et bien c’est cette année-là qu’on a dû déménager. On est allé s’installer en ville. Mais comme ma mère ne connaissait pas les habitants, elle n’avait pas envie d’aller à la fête du printemps de là où on habitait. Et comme j’étais encore jeune, surtout pour aller me trimbaler seul la nuit en ville, je n’y suis pas allé non plus. Je me disais que de toute façon, puisque la dame blonde n’était que dans ma tête, elle ne serait certainement pas là-bas. Si elle devait être quelque part, ça serait avec moi, dans ma chambre, au deuxième étage de mon HLM.
Tu as bien deviné petit, j’ai attendu toute la nuit, j’ai veillé tard dans mon lit mais elle n’est pas venue. Ni dans ma chambre, ni dans mes rêves. J’ai fermé les yeux de toutes mes forces cette nuit-là pour la voir danser et sourire derrière mes paupières, comme une fée des livres de contes, mais même là, elle n’est pas venue.
Puis je suis devenu grand, je l’ai oubliée. Enfin, pas oubliée mais je n’ai plus pensé à elle.

Si je l’ai rencontrée pour de vrai ? Mais oui mais attends, j’y viens gamin. Justement, tu sais qu’avant que je rencontre ta grand-mère, je suis allé à l’université. Tu vivras ça toi aussi quand tu seras plus grand mais sache déjà que dans les universités, on fait des fêtes mémorables. Comment ça tu sais ? T’as quel âge déjà ? Quoi tout ça ? Et moi qui t’appelles encore « gamin » ! Ahahah ! Je me fais vieux. Oui, je continue, je continue. Donc je disais que quand on va à l’université, on trouve toujours des prétextes pour faire la fête. Et forcément, sur le campus où je vivais, il y avait cette tradition de faire une fête mémorable pour l’arrivée du printemps. Je vais juste t’expliquer comment c’était fichu mon campus. T’avais plusieurs bâtiments où on dormait et chaque bâtiment était construit sur des petites collines. On circulait en bas des collines et il y avait des petits chemins pavés pour grimper les collines et accéder aux entrées. Nous, on faisait la fête partout, en haut des collines, même et surtout celle où il n’y avait pas encore de logement – qu’on appelait la colline nue -, en bas, sur le terrain de basket, partout. Même sur le parking. Hein ? Si j’étais déjà avec ta grand-mère ? Oh grands dieux non, c’est arrivé bien plus tard ! Mais attends… Donc je te disais que ce soir-là, j’étais avec mes voisins et des copains au sommet de la colline nue, et c’est là que je l’ai revue. J’ai demandé à mes copains s’ils la voyaient. Y’en a qu’une qui l’a vue avec moi. Mais les autres, rien, que dalle. C’était incroyable. Presque 10 ans plus tard et elle était toujours la même. Elle portait une robe blanche avec des motifs cousus de fil doré, elle avait toujours cette magnifique chevelure bouclée et blonde et ses yeux verts et bleus. Elle avait les pomettes aussi fermes colorées que des pêches. Elle était extraordinairement belle. J’ai dit à mon amie, celle qui l’avait vue, que j’allais la voir. Elle voulait pas, elle voulait que je la laisse « exister » mais j’ai pas pu résister. Je suis allée danser avec elle. Et c’est là qu’on s’est parlé pour la première fois.

 

***

 

– Bonjour.
– Salut !
– Je crois que je t’ai déjà vue.
– Je sais.
– Tu te rappelles de moi ?
– Bien sûr Nathan, je connais tout le monde.
– Comment tu connais mon nom ?
– Viens danser avec moi !

Maïa avait convaincu Nathan de retirer ses chaussures, ses chaussettes et de danser pieds nus dans l’herbe. D’ordinaire, Nathan n’aime pas être pieds nus. La perspective de marcher sur un caillou, une ortie ou de salir ses pieds ne l’enchantait pas du tout. Pourtant, Maïa dégageait une telle énergie positive qu’il lui aurait été impossible de lui dire non. Le voilà donc pieds nus, avec elle, à danser, leurs doigts enlacés, sur la colline.

– Comment tu sais comment je m’appelle ?
– Je t’ai dit que je connais tout le monde.
– Non mais d’accord mais moi ?
– Décoince toi Nathan, c’est le printemps, les arbres, les plantes, tout va revivre. Toute la vie va reprendre possession de la Terre et toi tu t’angoisses parce qu’une inconnue pieds nus connaît ton nom ?

Elle riait aux larmes. Elle semblait déborder de bonheur. Il lui tenait les mains, elle se tenait fermement à lui et se laissait tournoyer autour de lui. Leurs pas s’adaptaient au rythme des musiques qui s’enchaînaient. Parfois, c’était de la musique pour danser avec énergie, parfois il se jouait des morceaux plus adaptés pour des corps rapprochés. Maïa n’avait aucun problème avec la proximité physique. Nathan, d’ordinaire, avait beaucoup de mal. Être physiquement proche de quelqu’un le mettait mal à l’aise, il se sentait presque clostrophobe quand ça arrivait. Il ressentait même parfois le besoin de se frotter ou de se laver avec énergie quand quelqu’un le frôlait. Mais le contact de la peau de Maïa sur la sienne ne le brusquait pas. Au contraire, c’est comme si ça le libérait, comme s’il se sentait enfin respirer, enfin exister, pour la première fois.
Ils dansaient toujours plus proches l’un de l’autre. Elle se lovait contre lui, il la laissait faire. Plus elle respirait fort dans son cou, plus il fermait les yeux et se laissait aller à cette sérénité qui l’envahissait progressivement.

– Comment tu t’appelles toi ?
– Maïa Ostara
– Tu vis sur le campus ?

Elle le regarda avec tendresse, regarda ses lèvres puis ses yeux, elle se pencha à son oreille et lui murmura :

– Je vis partout et nulle part à la fois. Je suis ici et je ne suis pas. Si tu le souhaites, je serai toujours avec toi.

Il pensait avoir compris de travers mais il s’en fichait. Elle avait toujours été un mystère pour lui, depuis qu’il était petit. Il ne comprenait même pas comment elle pouvait connaître son nom, ni comment elle pouvait toujours paraître la même personne qu’il y a 10 ans, il ne comprenait pas pourquoi personne ou presque ne la voyait alors que, quand on parle de l’apparition d’un dieu dans toute sa splendeur, il comprenait enfin ce que les gens voulaient dire. Comment les autres ne pouvaient-ils pas la voir ? Son courage lui vint d’un coup et il en profita pour lui demander :

– Tu veux venir dans ma chambre ?

Il savait au fond qu’il n’était pas le premier et qu’il ne serait certainement pas le dernier mais il la trouvait tellement belle qu’il se serait jugé trop con de ne pas lui avoir proposé. Cette partie de l’histoire, forcément, il ne la racontait pas à son petit fils… Il ne raconta pas qu’après le sourire que Maïa lui adressa en guise de réponse, il la guida jusqu’à son immeuble, puis jusqu’à son étage, qu’il voulait d’abord lui faire découvrir sa chambre mais qu’elle referma la lumière de la pièce pour qu’ils ne soient illuminés que par les lampions de couleur qui habillaient les collines dehors. La musique se faisait entendre jusqu’au dedans. Elle l’embrassa tendrement tandis qu’il continuait de la fixer droit dans les yeux, comme pour pouvoir s’assurer qu’il ne rêvait pas. Il avait peur de s’abandonner complètement dans ses bras et de se réveiller seul dans sa piaule. Il avait peur qu’elle ne soit qu’une apparition, un rêve, un fantasme ou le résultat d’une substance hallucinogène qu’un copain aurait glissée dans sa bière quelques heures plus tôt. Ils s’enlacèrent et se caressèrent l’un l’autre jusqu’à ce que leur passion soit plus forte que leur raison. Ils se firent l’amour avec beaucoup de tendresse jusqu’à s’endormir l’un dans l’autre. Mais lorsqu’il se réveilla, il était seul, nu, dans son lit et Maïa Ostara, l’inconnue des fêtes du printemps, avait disparu.

 

***

 

– Papy, tu l’as revue après ?
– Oui, je l’ai revue l’année suivante, encore pour le bal de la fête du printemps. Mais tu sais ce que j’ai compris par la suite gamin ? C’est qu’elle serait à toutes les fêtes du printemps de la ville. Et qu’elle avait sûrement été à toutes les fêtes du printemps des villages près du mien quand j’étais petit. Quand j’y ai pensé la première fois, j’ai pensé à toutes ces occasions ratées de la revoir mais il faut bien être honnête avec soi-même parfois. Il m’aurait été impossible d’y être. J’étais encore qu’un petit garçon, et même en vélo, même en sachant où j’allais, je me serai tellement fait enguirlander par mes parents s’ils m’avaient vu sortir du garage avec ma bicyclette que j’aurai jamais pu dépasser le panneau de sortie du lotissement !
– Et tu l’as revue où et quand après alors ?
– J’ai réfléchi à toutes les occasions manquées mais surtout, j’ai pensé à toutes les occasions à venir. Si je pouvais la trouver aux fêtes du printemps, j’ai alors tout fait pour savoir où et quand elles se déroulaient.
– Mais c’est pas tout le même soir ?
– Non gamin, c’est ça qui est bien. Chaque village, chaque ville, chaque campus ne fait pas forcément sa fête du printemps le même soir, ni le même week-end. Du coup, tu peux avoir plusieurs fêtes du printemps, les jeudis, les vendredis, les samedis et ce sur plusieurs semaines ! Ca fait beaucoup d’occasions ça !

 

***

 

Et effectivement, le lendemain de leur union charnelle, Nathan a fait des recherches pour savoir quand et où auraient lieu les prochaines fêtes du printemps. Il ne se faisait pas trop d’espoir, pensait qu’il la trouverait en compagnie de quelqu’un d’autre mais il s’en fichait, il voulait la revoir. Le soir même, sur un autre campus de la ville, il la vit danser parmi les autres. Là encore, personne ne semblait la voir. Était-elle réelle ou était-elle un fantôme ? Il ne comprenait rien et commençait à se dire qu’il ne comprendrait jamais rien d’elle. Mais ce qu’il recherchait, ce n’était pas de comprendre ce qui se passait mais de la voir, de la revoir, d’en apprendre un peu plus sur elle, d’apprendre à la connaître. Il s’approcha d’elle lentement, comme s’il s’approchait d’une biche qui pouvait fuir en l’apercevant.

– Maïa ?
– Nathan ! Tu es enfin là ! Viens danser avec moi !
– Tu es partie sans rien dire hier.
– Il n’y avait rien à dire, si ?
– Je ne sais pas.
– Tu es là, non ?
– Oui. Mais… est-ce que tu es réelle ?

Elle explosa de rire. Elle riait aux larmes. Elle se tenait à son bras pour ne pas s’écrouler sur le sol. Parfois même, elle en perdait la voix. Elle avait beau rire d’un rire puissant, ses éclats de voix faisant presque mal aux oreilles de Nathan, pourtant personne ne la regardait, personne ne semblait l’entendre. Est-ce que les autres ne le voyaient plus non plus quand il était avec elle ?

– Maïa ?
– Tu es tellement drôle. Oui, bien sûr que je suis réelle ! Pourquoi je ne le serais pas ?
– Personne ne te voit. Personne ne te regarde. C’est toi que j’ai vu quand j’étais petit ?
– Oui, c’était moi.
– Mais tu n’as pas changé ?

Ils discutaient tout en dansant. Elle lui répondait en souriant, avec un naturel déconcertant. Pourquoi n’était-elle pas au moins gênée par toutes ses questions ?

– Je n’ai pas changé parce que je ne changerai pas. Je vais te la faire courte. Je ne suis pas quelqu’un de compliqué. J’aime les fêtes. J’aime les célébrations de la nature. J’aime la campagne, j’aime la simplicité. J’aime le printemps mais j’aime aussi l’art, la musique, le cinéma, j’aime la culture, j’aime manger mais seulement ce qui vient de la nature ou ce qui a été préparé par un humain. J’aime les animaux, les couchers de soleil et les promenades au bord de la plage… Je suis quelqu’un de simple avec des passions simples.
– Mais pourquoi… comment tu n’as pas changé ?
– C’est comme ça. Ne me demande pas pourquoi ni comment, je ne saurais pas te l’expliquer, c’est comme ça, c’est ma nature. C’est la nature.
– Est-ce qu’on peut construire quelque chose ensemble ? Je veux dire, est-ce qu’on peut se revoir ?
– Bien sûr qu’on peut se revoir. Je m’attendais bien à te voir ce soir, non ? Et on se revoit demain et la semaine prochaine !
– Et après ?
– Après quoi ?
– On va se revoir toutes les semaines ?
– Non, pas toutes les semaines. Je ne suis là que trois mois dans l’année ici.
– Comment ça ? Et pourquoi ici ? Ça veut dire quoi « ici » ? Tu vas où ensuite ?
– Nathan, arrête de parler. Tu vas t’inquiéter. Regarde moi, danse avec moi…

 

***

 

Je crois qu’elle ne voulait pas me dire elle-même ce que ça signifiait et c’est plus tard que j’ai compris qui était Maïa. Ouais gamin, t’as pigé avant moi. Maïa Ostara, c’est le printemps. C’est le renouveau de toute chose, c’est la renaissance de la terre. Elle accompagne le réveil de la nature chaque année.
Oulà gamin, tu me poses de sacrées questions didonc. Pourquoi moi je la voyais ? Ça, je t’avoue bien que je l’ai jamais su. Ce que je sais c’est que j’ai partagé quelques printemps avec elle mais qu’avec ce dérèglement climatique de mes deux, sa présence ici était assez perturbée. Certaines années, elle était là 4 mois, parfois quelques semaines seulement. Avec ce temps qui change, elle se faisait grignoter son temps par sa sœur d’été ou sa sœur d’hiver. Et d’ailleurs, tu sais pourquoi notre famille s’est établie en Finlande ? Tu connais Talvi Angorenia, la grande dame à la peau blanche, les cheveux cendrés et les yeux noirs ? Et bien Talvi aussi vit partout mais elle est beaucoup plus souvent en Finlande que dans le reste du monde. Maïa a aidé à donner naissance au premier né de Talvi, son fils aîné. Mon fils. Ton père. Maïa est la sœur de Talvi. Et Talvi, c’est ta grand-mère.
Ton père n’aime pas parler des histoires de famille. Mais tu imagines combien c’est difficile à avaler ? Être le fils de l’hiver et d’un homme lambda ? C’est pour ça que je te dis si souvent de respecter la nature, gamin. La nature, c’est l’affaire de tous mais pour nous, c’est aussi et surtout une affaire de famille.

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AirellaRed
J'aime beaucoup. C'est poétique, et le ton du narrateur est tout à fait adapté.
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Yoxigen
J'ai adoré :) Merci pour ce joli conte !
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