Texte du sujet: Enfance - Sujet 3 : "Désobéir"

Ils avaient désobéi. Cela l’inquiétait un peu, mais la curiosité était plus forte que tout. Jill avait eu des doutes sur ce projet, elle qui était d’ordinaire le moteur du groupe. C’était David qui avait proposé cette excursion. Quant à Loïc, il avait suivi avec beaucoup d’enthousiasme.

Ils étaient censés se rendre au match que disputait le grand frère de Loïc. Arrivés devant le stade, au lieu de garer leurs vélos, ils empruntèrent le chemin en terre battue qui contournait le terrain de sport et le suivirent jusqu’au bois.

Cet endroit était le lieu de tous les fantasmes de l’imagination enfantine, et le lieu de toutes les craintes parentales. La peur qu’on s’y casse une jambe ou qu’on y fasse une mauvaise rencontre, même si l’environnement était plutôt sécurisant, hantait les parents. Personne n’avait le droit d’y aller sans adulte.

Il y avait des rumeurs sur un être qui habitait la zone la plus éloignée de la forêt. Certains disaient que c’était un animal, d’autres, un homme, ou encore, un monstre. Tout ce qu’on savait de la créature était qu’elle avait une taille humanoïde, marchait sur deux jambes, et, d’après certains, qu’elle était recouverte de fourrure. Pas étonnant que David l’assoiffé de sciences ait eu envie d’en avoir le cœur net. Dans son sac à dos, il avait emmené un appareil photo numérique, des stylos et un carnet afin de pouvoir noter ses observations. Il était méthodique.

Ils s’enfonçaient dans les bois. On n’entendait plus les rumeurs de la ville, juste quelques cris d’oiseaux et des bruits de bêtes agitant des feuilles mortes pour rejoindre leur terrier. Ils devaient se rapprocher du lieu de vie de la chose.

Ils roulèrent plus doucement, essayant de faire le moins de bruit possible.

Ils aperçurent quelque chose. Une sorte de cabane, faite de branches, en forme de tipi. Etait-ce un indien ? Un brasero dégageait de la fumée jute devant ce qui semblait être l’entrée.

Ils s’approchèrent encore un peu et se mirent en planque derrière deux arbres proches. Par chance, les feuilles étaient tombées récemment et cela aidait au camouflage. David fit quelques photos du lieu, pendant que Jill et Loïc surveillaient les alentours.

Ils virent la silhouette sortir du tipi. Elle était massive et ressemblait bien à un homme, mais sa tête semblait, de loin, posséder quelque chose d’animal, très velue. Elle semblait porter une sorte de k-way vieux de cent ans, et un pantalon dont on n’aurait pas su dire la couleur.

Ils retenaient leur souffle. Cinquante idées, au moins, leur passaient par la tête. Un loup-garou ? Un hybride homme-animal ? Une créature ratée d’expériences scientifiques ? Un mutant ? Ils étaient fascinés et terrifiés en même temps.

Ils l’observaient à la dérobée. Que feraient-ils si elle s’approchait ? Ils ne pourraient fuir sans être vus. Leurs vélos seraient toujours plus rapide, sauf si la créature avait des capacités augmentées en vitesse.

David leur fit un signe. Il leur montra le zoom qu’il avait fait avec son appareil numérique. Il s’agissait bien d’un homme, aux cheveux hirsutes et avec une barbe qui lui mangeait le visage. Jill fronça les sourcils. Pourquoi certains parlaient-ils de monstre ? On voyait bien que ce n’était pas le cas… Etait-ce pour faire peur aux enfants ?

L’homme remuait les braises, presque immobile.

Ils ne savaient pas quoi faire. Ils n’avaient pas discuté de ce qu’ils feraient s’ils rencontraient la « créature » du fond du bois.

David murmura : « Qu’est-ce qu’on fait ? » à l’attention de Jill. Il lui avait emprunté son rôle de leader, et là, face à l’inconnu, le lui rendait avec une facilité déconcertante.

Elle chuchota à son tour : « On s’en va ! ». Ils essayèrent de récupérer leurs vélos sans faire de bruit, mais le bruissement des feuilles mortes les trahirent.

L’homme se mit à héler un « Hééééééé ! » tonitruant. Cela leur fit perdre toute notion de discrétion, ils s’activèrent comme jamais. L’homme criait, mais ils paniquaient trop pour comprendre ce qu’il disait, si toutefois il parlait leur langue. Lorsque Loïc se retourna pour voir où il était, il le vit attraper une pierre et la lancer vers eux. Elle n’atterrit pas loin. Il avait de la force, et il semblait vouloir s’en servir contre eux.

 

Ils pédalèrent à toute vitesse, arrivant vite au chemin de traverse. Ils avaient vérifié si la créature avait réussi à les suivre, mais apparemment, elle n’était pas douée d’une vitesse surhumaine.

Ils n’osèrent pas s’arrêter au match. Ils avaient peur que l’on remarque leur état de panique.

Jill décida qu’il était temps que chacun rentre chez soi. Ils en discuteraient le lendemain, au calme. Elle avait besoin de retrouver sa maison, sa chambre, sa maman.

 

Lorsqu’elle rentra, sa mère était occupée à cuisiner. Sa voix trahit son émotion lorsqu’elle dit « Coucou Maman ». Sa mère l’interrogea.

« Que se passe-t-il ? Tu es rentrée tôt. David et Loïc sont rentrés aussi ?

- Oui.

- Il y a quelque chose dont tu voudrais me parler ? ». Sa mère fronçait les sourcils. Elle savait qu’elle ne pourrait rien lui cacher. Et puis, elle savait qu’elle pouvait lui faire confiance.

« On a désobéi.

- Comment ça ?

- On a été dans les bois.

- Tous les trois ? Il n’y avait personne d’autre ?

- On voulait voir la créature dont tout le monde parle.

- Et… ?

- On l’a vue. C’est un homme.

- Il vous a vus ?

- Oui. Mais pas longtemps. Il nous a crié dessus et on est parti.

- C’est tout ?

- Qui c’est, Maman ? ». Sa mère soupira, d’un soupir doux et long. Des battements de paupières annonçaient qu’elle allait lui donner une explication un peu compliquée.

« C’est un homme, oui. Il s’appelle Martin. Avant, il vivait dans la ville, comme tout le monde. Il était pompier.

- Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

- Il… Un jour, il aidait la police à rechercher un enfant qui avait disparu. C’est lui qui l’a retrouvé. Dans le bois. Mais quelqu’un avait fait du mal à l’enfant. Ça l’a choqué, et rendu très triste. Vraiment, très triste. Tellement triste qu’il est devenu un peu fou. Il n’arrivait plus à dormir, ni à manger, ni à travailler. Il s’est installé dans le bois. On dit qu’il surveille le bois. Il fait peur aux enfants qui s’y promènent, pour être sûr que plus jamais on ne retrouve des enfants dans le bois. Il fait peur aux adultes, pour être sûr que personne ne vienne pour y faire du mal.

- Il n’est donc pas vraiment méchant ?

- Non, il n’est pas vraiment méchant.

- Pourquoi les plus grands disent que c’est un loup-garou ? Ou un monstre ?

- Certains le font pour rire, comme une blague.

- Des fois, il y a des adultes aussi qui le disent.

- Parce qu’on ne veut pas que vous alliez dans le bois. Même si Martin surveille, il ne peut pas être partout à la fois. Alors certains adultes préfèrent vous dire qu’il y a un monstre, pour vous faire peur et que vous n’y alliez pas.

- On y a été quand même.

- Et ce n’est pas bien. Vous deviez aller au match.». Elle baissait la tête, juste un peu.

« Tu vas me punir ?

- Je ne pense pas. Mais j’ai besoin d’en discuter avec ton père. Et avec les parents de tes copains. Je pense que vous avez eu peur et que c’est déjà une bonne punition. Et, au moins, tu n’as pas été toute seule dans les bois. Vous étiez trois. ».

 

La conversation se finit là. Elles n’avaient pas besoin d’en dire plus, ni l’une, ni l’autre. L’échange de regard avait tout dit.

Elle rejoignit sa chambre, pensive. Elle s’assit sur son lit, prit sa peluche préférée, lui fit un câlin, recroquevillant ses genoux entre ses bras,  regardant par la fenêtre. Elle aimait réfléchir ainsi.

Elle se dit qu’elle avait beaucoup de chance. La chance d’avoir désobéi et qu’il ne lui soit rien arrivé d’autre qu’une grosse peur. La chance de retrouver sa maison, et de pouvoir d’ici quelques jours retrouver ses copains.

La chance de pouvoir comprendre aussi pourquoi on disait dans les livres que « les apparences sont parfois trompeuses ».

Ils avaient eu peur. Très peur, même. Mais, peut-être bien que la « créature du fond du bois » avait encore plus eu peur qu’eux. Peur qu’il leur arrive malheur, peur qu’un enfant soit retrouvé dans le bois.

Oui, les apparences sont trompeuses, et elle avait hâte de retrouver David et Loïc.

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plancton2000
ça m'évoque vaguement stranger things, surtout le début, et ça j'adore. Enfin, le reste aussi ! Notamment la relation (rêvée, ha ha) mère-fille
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AirellaRed
Merci! Oui, l'écriture permet d'idéaliser un peu l'humanité! ;)
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A-Nacht
Tout en simplicité et en retenue, j'adore.
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AirellaRed
Ah, mais c'est tout moi, ça, "simplicité et retenue"! Ahah!
Merci. Je n'ai pas encore lu toutes les autres contributions, mais ça ne saurait tarder. Ce soir ou demain.
Tu as choisi quel sujet?

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Yoxigen
Chouette histoire ! ça me fait penser aux rares histoires de Stephen King où il n'y a pas de surnaturel, comme "Stand by me" par exemple.
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AirellaRed
Tu n'aurais pu me faire meilleur compliment!
Pour l'anecdote, mes premières lectures adolescentes étaient de Stephen King. J'ai lu à peu près tout ce qu'il a produit, jusqu'au moment où je m'en suis désintéressée (le roman "Sac d'os" marque la fin de ma période Stephen King). Ceci explique sans doute cela.

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