Texte du sujet: Enfance - Sujet 5 : "Mistral Gagnant"

La merveille. La violence des natures. SLAM la vague contre la roche brune SLAM contre le sable noir SLAM SLAM SLAM le Gouffre ça s’appelait, le Gouffre, aire de pique-niques, de suicides. A marée basse, l’océan laisse de vastes piscines naturelles au cœur des rochers. Tout ce que la vague a ramené, piégé dans ces trous de basalte, des aquariums géants, les meilleurs aquariums. Un poisson lion. Une zourite ? J’y ai marché sur un oursin.

La merveille. Quand tu grattes le rocher sous les bouleaux il s’effrite en poudre d’or. Du soleil dans les pyjamas. Un tang, quand c’est mort, ça pue. La mort, ça colle aux basques, ça murmure en arrière-plan tout comme la mer, même là-haut, dans les Hauts, au pied de la grande montagne trempée, iridescente, on l’entend la mer. La mère de tout, ma mère, l’épaisseur des câlins de ma mère, jamais perdue, jamais eue, jamais trouvée, ma mère maman ? Elle fait pipi la porte ouverte. L’épaisseur des nuits sous le Capricorne.

La merveille. On ne mord pas. Ah bon ? Ah bon ? Putain !! On ne jure pas. AH BON ?? Totoche ton nénen pèss la moukat !!!

La merveille. La violence. Merci de m’avoir fait si minuscule, si minuscule. Au cœur de la montagne chaude et moite merci, penchée vers l’abîme, mais qu’est-ce qui peut bien loger si près des fanjans – un papangue. Merci. Un chien me suit quand je monte dans le sentier. Ensemble on ramasse des goyaviers.

La merveille. La violence. Il ne pleut pas pour rien sur cette terre ardente.

Elle se traîne jusque dans les cicatrices : sur les genoux – où j’étalais de la cendre quand j’étais blessée –, derrière le crâne, sur un sein qui n’en était pas un. Il y en a une dans une histoire. Au lagon, j’avais heurté un corail. Le prof de sport m’a dit que le corail était vivant (ça, c’est vrai), qu’il allait grandir (ça, c’est faux), croître dans ma peau et prendre toute ma jambe, tout mon corps, et que j’allais devenir un corail, moi, un corail. Je l’ai cru. Je m’étais résignée. A devenir un corail. Vivre au fond de l’océan, avec les autres coraux.

Vive et brûlante comme le soleil. Sans merci. Reste encore. Merci.

La merveille. Mordre. Faire le dragon dans la pente. J’ai deviné, dessiné à la craie, au cas où en filigrane, tout un dictionnaire de mensonges ; toutes les hontes, les extrémités, les volutes de rhum et de zamal exposées à la houle du soleil, la misère enveloppée dans le creux des filaos, bercée de tous les fruits du marché couvert ; le nom des poisons ; le goût de la mort quand elle survient et quand elle menace. Des chats des chiens des reins.

Rien perdu. Elle me suit sans arrêt. L’étreinte luxuriante, et l’odeur de chien mouillé, et l’espadon dans le coffre de la R5.

La magie du premier sang.

La merveille toujours sale et toujours nue, la merveille.

 

***

zourite : pieuvre

tang : petit animal endémique des Mascareignes, genre de croisement entre un rat et un hérisson, avec un nez pointu

totoche ton nénen pèss la moukat : nique ta mère, espèce de fiente

fanjan : fougère arborescente

papangue : rapace endémique de la Réunion

zamal : cannabis

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AirellaRed
Je suis fascinée par l'ambiance. J'ai l'impression que le texte mérite une seconde lecture, pour en capter toutes les subtilités. Merci pour cette lecture.
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A-Nacht
"L’épaisseur des nuits sous le Capricorne." Cette phrase me fait rêver, en plus d'être placée dans le texte de façon... Surprenante !
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