Texte du sujet: "Neige", sujet 1 : "Éléments déchaînés, II"

Je déteste le dérèglement climatique ! C’est vrai quoi, comment j’aurais pu prévoir qu’il allait neiger sur la route ? Même chez moi ça tombait pas, ou vaguement. Une pluie lourde, dense et rafraîchie, qui finissait par dégouliner en boue crasse et glissante, mêlée de graviers de potasse, sur les trottoirs et sur les routes. Pas de quoi en faire un fromage. D’ailleurs, dans le Nord, on est appareillé pour ça. On déneige. On sale. On met des pneus d'hiver. On s’adapte zut !

Visiblement pas comme chez ces pécores du Sud !

Elles commencent mal, ces vacances. Pourtant j’étais heureux, ce matin, de partir fêter mon anniversaire en famille, à la plage : cinquante ans ! C’est pas rien. Et puis la Méditerranée, ça coûte un bras d’y passer une semaine, surtout à quatre ! J’avais tout bien fait, préparé, prévu. Sauf ces maudites trombes de neige ! Et les gosses malades en voiture (c’est vrai qu’ils n’ont pas l’habitude de si longs trajets). Le vomi du grand partout sur les sièges, sous les sièges, entre les sièges, derrière les sièges – à nettoyer, plié en deux, à la lavette. L’impossibilité de sortir sous la tempête pour changer le petit (qui, évidemment, chope une gastro pile ce jour là). Mon épouse qui râle toutes les trente trois minutes, réglée comme une montre. Le chauffage et la ventilation à fond pour continuer d’y voir quelque chose. Les repas dans la glacière, sous les valises, au fond du coffre. Le chat qui se cogne frénétiquement la tête dans la cage en miaulant à la mort. L’autoradio qui marche un coup sur deux. Et les lourds centimètres de ce majestueux tapis blanc, qui continuent de s’abattre mollement, autour de notre habitacle motorisé. Devant le paysage immaculé.

Ah flûte ! Non ! J’ai vraiment pas envie d’être poète, présentement.

Le pur enfer a commencé vers Montpellier, avec un camion à moitié renversé sur l’autoroute et une trentaine de bagnoles empêtrées derrière lui. Les gens gelés, dehors, en train de râler, décontenancés, incapables d’avancer plus loin. Mince, ils connaissent pas les chaînes autour des pneus, dans l’Hérault ? Et, en prime de se ramasser une sorte d'avalanche de givre et de brouillard sur le coin de la poire, ils y résistent en usant d'un accent à couper au couteau. Genre, rempli de « ing, de ang et de  ong » à la fin de quasiment chaque mot. Et pas dégourdis, encore que je suis poli ! Huit heures, il nous aura fallu pour dégager la route, en repoussant les véhicules sur le côté. Huit heures ! Moi, pendant ce temps, me démenant pour aider tout le monde en même temps, j’ai cru que mon aîné allait me faire un accident vasculaire cérébral d’impatience. Que le petit allait décéder de la tourista -et ma femme d’une crise de nerfs. Bon, on s’en est sorti. Et on a réussi à continuer, bon an mal an, un kilomètre après l’autre, toute la longue nuit, jusqu’à Perpignan.

En ayant l’impression de grimper l’Everest en rappel.

Mais là, je vous le donne en mille : rebelote. Dix de der. La ville était complètement paralysée. Les camions d’éboueurs étaient à l’arrêt, à côté des poubelles. Des vélos étaient renversés sur la voie, leurs roues pliées. Des piétons se recroquevillaient sous les abribus. Les lampadaires clignotaient. On aurait dit que l’électricité avait été coupée en urgence. Et notre chemin de croix ne s’arrêtait pas là. Il nous fallait encore rejoindre le littoral. Et pas en ski de fond, s’il vous plaît. C’était le temps de faire une pause. Dans un bar, le long de l’avenue principale.

Je croyais qu’il était interdit de fumer depuis longtemps moi, dans les bistrots ? Ma blonde et mes enfants en étaient persuadés aussi. Non, pas ici, jamais ! M’a répondu le serveur avec un ton condescendant. Peut-être en rapport avec l’usage anormal de notre patois d’origine, pas très local : le français. La tête du gars, quand je lui ai commandé des croissantines. Je voulais faire de l’humour. C’est fou le nombre de gens qui peuvent s’arsouiller au Ricard à neuf heures du matin, un dimanche, dans ce coin. Complètement pétés et en bras de chemise, alors qu’il fait zéro degrés et qu’on a du mal à se déplacer, même en traineau. Ils ont du être surpris. Ils ont pas l’habitude. Certains parlent d’un toit de supermarché qui se serait effondré sous le poids des flocons.

Il y en a tout de même un qui nous a fait de la peine. Un père de famille manouche, qui, en sus d’être immobilisé, n’avait plus de quoi payer son essence pour rentrer à Barcelone. Le pauvre. Je lui ai échangé cent cinquante euros contre une vraie veste en cuir de couturier, qu’il avait dans son coffre. J’espère avoir fait une bonne affaire. J’inspecterai l'intégrité de sa marchandise plus tard. Pour l’instant, l’objectif est de continuer, vaille que vaille. Coûte que coûte. Jusqu’à Argeles-sur-Mer. C’est toujours ce qu’il y a de plus angoissant : les fins de trajet. On s’impatiente. On appréhende le pire. On espère que rien ne viendra encore nous retarder. On rassure les enfants. Et on y arrive, enfin !

Inspection du logement, déballage des valises, libérage du matou, engueulage des marmots. On y est ! Ouf !

Et je peux enfin aller respirer sur le bord de mer. Quelle aventure. C’est clair qu’il fait froid pour la saison. J’avais pas ce souvenir là. De quand j’étais minot et que je venais avec mes parents. Il faisait même plutôt chaud, en général. Bof, ça doit être à cause de ce fichu dérèglement climatique, dont ils nous gavent à la télé. Il y a pas de quoi fouetter un chien. Et puis, il faut voir le bon côté des choses. Je vais fêter mon anniversaire, face à la mer, sous la neige. Féérique, non ?

Par contre, pour mes cinquante et un balais prochains, en l’an de grâce 2058, désolé, mais je réitérerai pas l’expérience. C’est trop galère, les vacances à la plage au mois d’août !

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Justine
Une description à la fois légère et réaliste des longs trajets en famille avec ses petits désagréments xD
Beau texte x)

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Leeloorocks
Ha ! Bien vu ! Je me suis bien sentie avec toute la smala dans l’habitacle !
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AirellaRed
Bonne narration! J'aime beaucoup lorsqu'un texte me permet de visualiser la scène! Merci pour cette évasion.
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plancton2000
C'est tout un talent d'être à la fois drôle, léger et déprimant. Mais ça fait de chouettes lectures -- merci lol
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